Par Irfaan Burahee.

Les potentialités

de l’agriculture urbaine à Créteil :

de la production agricole individuelle à la production commerciale potentielle.

Jardiner en ville, c’est possible et même tendance ! Même sans jardin, les citadins ne renoncent pas aux plaisirs du jardinage en fleurissant balcons, terrasses et rebords de fenêtres, en créant un petit potager en pots, ou en se livrant au « guerrilla gardening[1]« , pour reverdir la ville avec humour. Plus que jamais, les Français aiment jardiner : le jardinage est l’un de leurs loisirs préférés. Envie de renouer avec la nature, de faire pousser ses propres fruits et légumes (bio, de plus en plus souvent), besoin de se libérer du stress du quotidien en plantant, semant, taillant, arrosant, soignant ses plantes, ou encore plaisir de se détendre dans un havre de verdure et de paix, et parfois même, pour les heureux bénéficiaires d’un jardin, pouvoir profiter d’une pièce supplémentaire en plein air!

 

L’agriculture urbaine s’est développée de manière précoce dans les villes des pays en développement en réponse à des problèmes d’alimentation, notamment avec l’essor des bidonvilles au XXè siècle où s’est développé un pan particulier de cette agriculture urbaine : l’agriculture urbaine verticale. Dans les villes occidentales, on observe de plus en plus le développement d’une « économie » agricole urbaine avec une filière spécifique. Du balcon à l’activité professionnalisant, il n’y a des fois qu’un pas à condition les collectivités et les mesures politiques y soient favorables.

 

            Essentiellement, nous connaissons une pratique de loisir, à partir du jardinage, qui permet de rapporter un peu de campagne au cœur de nos villes où cloisonnement et individualisme ont pris le dessus sur la solidarité et l’entraide paysanne de jadis. A l’échelle du citadin privé, l’agriculture urbaine « amateur » a pour but la production végétale (potager urbain) et animale (micro-élevage de poules et apiculture par exemples). A cette pratique classique, il faut y rajouter et y distinguer deux autres types d’agriculture urbaine[2] :

l’agriculture urbaine collective, c’est celle des jardins familiaux, des potagers urbains collectifs et des actions de végétalisation collectives liées à des associations. Elle peut également s’étendre à des associations d’élevage pédagogique (micro-ferme urbaine) ou apicoles ;

l’agriculture urbaine professionnelle, qui se concrétise par des projets à but marchand à partir de système de production économiquement et techniquement viables (micro-fermes urbaines, serres en toitures, agriculture urbaine en milieu clos et autres procédés).

A Créteil, le nombre d’espaces verts importants et d’interstices urbains, sont des éléments importants afin de favoriser l’agriculture urbaine. Nous verrons la typologie des agricultures urbaines à Créteil et essayerons de voir leur capacité de développement.

 

  1. A) La micro-agriculture urbaine du particulier : du potager privé, au balcon et à la rue.

 

            Nombre de personnes ayant un jardin ou une petite terrasse s’adonnent à la pratique de cultures potagères ou d’espèces d’ornements. On observe alors une micro-agriculture urbaine « du quotidien » avec différentes solutions d’aménagements, de modèles et de techniques pour produire chez soi ou dans les interstices urbaines (pieds d’immeubles, pieds d’arbres, rue…).[3] Et le moindre espace disponible peut être mis à profit pour cultiver plantes vertes, arbustes, fleurs annuelles, bulbes fleuris ou plantes vivaces, en adaptant les espèces aux conditions d’ensoleillement et de température. De nombreux légumes verts, haricots verts, poivrons, radis, carottes, bettes, etc,  peuvent se cultiver en pots ou en jardinières.

 Parmi les modèles culturaux écologiques, le développement et le succès de la permaculture au cours des deux dernières décennies n’est plus à démontrer. Née en Australie, elle est devenue un modèle universel qui s’adapte aux différents contextes environnementaux, climatiques et biologiques. Répondant au triptyque : prendre soin de la terre ; prendre soin des hommes ; partager les ressources[4], la formule est devenue un véritable phénomène social, une éthique et une philosophie de vie œuvrant pour la préservation et l’équilibre du milieu et des hommes, contrastant radicalement avec l’agriculture conventionnelle. Pour peu de disposer d’un terrain aménageable de 12 à 15 m² au minimum, tout un chacun peut mettre en œuvre un modèle de permaculture. Cette solution écologique, mais aussi économique, replace la nature et l’homme au centre de la production qui se développe en harmonie avec l’environnement (pas de pesticides de synthèse, peu d’impact sur la micro-faune et micro-flore de la terre, large association des plantes entre elles pour favoriser la biodiversité…).

Cultivons partout !

Dans les interstices de la ville, de nos balcons et terrasses, pieds d’immeubles et d’arbres, rues, peut aussi se développer une micro-agriculture urbaine sous les initiatives des habitants. Les techniques mises en place sont alors le plus souvent modestes, et utilisent des éléments qui peuvent être recyclés ou réutilisés plusieurs années de suite, pots et bacs de cultures, réserve d’eau. Nombre d’associations ont permis de mieux structurer cette dynamique. Parmi elles, les Incroyables Comestibles (Incredible Edible) mouvement participatif citoyen de bien commun originaire d’Angleterre animé par « l’idéal de nourrir l’humanité de façon saine pour l’homme et pour la planète, localement, en suffisance, dans la joie et la dignité de chacun ». Concrètement, cette organisation cherche, « par la nourriture comme facteur d’unité et de convivialité, à reconnecter les gens entre eux et les reconnecter à la terre nourricière. Par des actions simples et accessibles à toutes et à tous, les Incroyables Comestibles cherchent à promouvoir l’agriculture urbaine participative en invitant les citoyens à planter partout là où c’est possible et à mettre les récoltes en partage »[5]. Des expériences individuelles à Créteil, chez des particuliers, dans des immeubles ou en zone pavillonnaire, démontrent le succès de la philosophie Incroyables Comestibles.

En plus d’aider à végétaliser les villes, le but est aussi que les habitants trouvent une source gratuite d’aliments sains. A cette fin, ils sont invités à se servir dans les bacs communs.

  1. B) L’agriculture urbaine collective, les jardins partagés

            Les premiers jardins collectifs sont apparus il y a plus de 120 ans sous l’impulsion de l’Abbé Lemire, député du Nord, fondateur de la Ligue du coin de terre et du foyer, aujourd’hui Fédération nationale des jardins familiaux et collectifs[6]. L’objectif était alors de mettre à disposition du chef de famille un coin de terre pour y cultiver des légumes nécessaires à la consommation du foyer.

            Depuis les années 90, la demande en jardin familiaux a littéralement explosé.  Et « Si le besoin alimentaire subsiste, la fonction des jardins évolue pour répondre aux nouveaux besoins d’une société en mutation : retrouver un lien et un contact physique avec la nature, lutter contre le stress, manger sainement, développer des relations sociales avec les autres jardiniers… Les jardins familiaux ont réinvesti le cœur des villes avec une mission : créer et renforcer le lien social »[7]. En effet, fort pratiqué outre-Atlantique, la thérapie horticole, ou hortithérapie, fournit des outils de socialisation et endigue l’enfermement sur soi et la perte d’initiative. Les jardins collectifs urbains rassemblent et unissent les femmes et les hommes autour des besoins des êtres vivants que sont les plantes : leur croissance, leur besoin en soins quotidiens, la prise de conscience du temps.

 A  l’instar des jardins Emaus qui avait mis en place un jardin partagé (en faveur des personnes précaires suivies en insertion), la municipalité de Créteil met à disposition des particuliers 105 parcelles de jardins familiaux. Elles sont implantées dans le quartier des Bordières (38 parcelles d’environ 100 m² chacune), au Halage et avenue Laferrière (14 d’environ 150 m²), rue de Brie (4 parcelles d’environ 130 m²), rue du Petit-Bois (3 parcelles de 130 m²), rue des Caillotins (dix parcelles de 120 m²), rue des Vignes (20 parcelles de 120 m²) et du côté de La Habette/Terray (12 parcelles d’environ 120 m²)[8]. Enfin, aux Coteaux-du-Sud, sous l’égide de la régie de quartier de Créteil, le jardin solidaire d’une surface de 1314 m² est un jardin pédagogique et partagé qui est animé par un jardinier professionnel. Au cœur de la cité, il participe au retour de la nature en ville et promeut l’alimentation saine et le développement durable[9]. Son lien avec le tissu associatif n’est pas visible.

            Le loyer annuel pour un jardin est révisé tous les ans, par délibération du conseil municipal. En 2016, les loyers allaient de 78,80 € à 118,30 €. Près de 150 personnes sont sur liste d’attente, ce qui indique que la population souhaite entreprendre de micro-projets agricoles. L’attribution se fait par ordre d’ancienneté sur cette liste[10]A Créteil, l’enjeu actuel des jardins collectifs est de répondre à la forte demande des particuliers qui souhaite louer une parcelle pour produire en autonomie et en qualité. Cette dynamique montre l’ampleur que prend la volonté individuelle à produire ses propres denrées et à créer un lien avec la terre nourricière.

Malheureusement, un nombre assez conséquent d’espace vert à Créteil est délaissé par les habitants, hormis pour les besoins canins,  les rares brocantes et les initiatives associatives « hors les murs » trop rares. Ces espaces verts situés dans de nombreux quartiers indiquent la forte potentialité à pouvoir développer de nouveaux jardins partagés qui peut se faire sous l’impulsion de Créteil Habitat. Il est important que la population se réapproprie ces espaces verts par le changement de leurs usages. Initialement paysager ou récréatif, ces zones vertes sont l’occasion de créer des petits espaces de productions maraîchères où lien social, solidarité et préservation de la biodiversité en sont les éléments clefs.

Le jardin partagé de la rue des Vignes à Créteil compte 20 parcelles. Créé au milieu des années 2010, ces jardins ont redonné une vie sociale à ce secteur qui autrefois sous forme d’une bande d’herbe n’avait que vocation à séparer une zone d’habitation collective d’une zone d’habitation  pavillonnaire.

Les particuliers qui ont loués les parcelles ont su développer une biodiversité importante associant espaces potagers et espaces naturels.

 

  1. C) L’agriculture urbaine professionnelle, un potentiel de développement indéniable dans les grandes villes comme Créteil

 

            L’agriculture urbaine professionnelle peut prendre plusieurs formes : mise en valeur agricole d’espaces périurbains, création de fermes au cœur de la ville, mise en place de serre urbaine intégrées aux bâtis, toitures plantées et le maraîchage Indoor. Chacune de ces mises en valeur requiert des techniques et un savoir-faire spécifiques capable de répondre à la création de nombreux emplois dans le secteur agricole. Les produits issus de cette filière sont souvent à forte valeur ajoutée (avec certification bio ou pour la production vouée aux restaurants par exemples) ou pour le grand public.

A Créteil, peu de projets de ce type ont été mis sur pied. Hormis le projet controversé Valo’Marne qui ambitionne de faire pousser des tomates à partir de la récupération du surplus de chaleur de l’usine d’incinération pour alimenter une serre pédagogique d’agriculture urbaine[11]. Le projet n’est pourtant pas si vert que ça puisque les problématiques liées à l’extension de l’usine d’incinération font débat.

Pourtant les potentialités de développement d’agriculture urbaine professionnelle à Créteil sont positives. Le nombre de toitures d’immeubles professionnels ou d’habitation offrent un périmètre important de mise en valeur agricole sous serre ou en bacs de culture. Les serres sur toitures offrent des avantages non négligeables puisqu’elles peuvent interagir avec le bâtiment au niveau énergétique, sur la gestion de l’eau et sur la qualité de l’air, pour in fine produire des végétaux localement[12]. Les exemples de nos voisins européens et d’Amérique du Nord doivent nous inspirer en la matière car ils montrent que ces projets peuvent tout à fait se concrétiser : l’Urban Farmers à la Haye aux Pays-Bas sur 1400m², la Ferme à Lufa à Montréal sur un hectare, le Gotham Greens à New-York sur 8800m² et Chicago sur 7000m², etc. Dès lors, notre ville peut tout à la fois s’inspirer de ces projets, qui ont montré la voie de l’agriculture urbaine professionnelle, et développée des particularités intrinsèques à son contexte géographique et social avec la recherche de filières de productions spécifiques.

A New-York le Gotham Greens est l’une des serres urbaines les plus grandes du monde avec une surface cumulées de trois serres de 8800m². La production agricole y est continue dans l’année. Associant des procédés technologiques avancés en matière d’irrigation et agricoles, la production de qualité nourrit une partie de l’aire métropolitain.

source : https://www.gothamgreens.com/

 

Conclusion

 A Créteil, hormis l’élan de la municipalité dans la mise en place de jardins partagés, on observe peu de projets réellement voués à la diffusion et à la professionnalisation du secteur de l’agriculture urbaine.

 Les potagers urbains sont, pour certains particuliers disposant d’un terrain privé, l’occasion de s’adonner à de la micro-agriculture urbaine amateur, mais cela ne concerne que peu de personnes. D’autres particuliers exploitent leurs balcons ou leurs rebords de fenêtres pour faire  pousser solanacées, aromates et autres plantes d’été ou d’ornements. Il y là un effort à faire pour aider les particuliers à s’équiper en matériel adaptés, en plants et formation. A cet effet, la nouvelle mandature aurait à gagner à organiser des ateliers pour aider les habitants et les équipements à mieux intégrer la micro-agriculture urbaine dans leur espace de vie.

 Il est aussi intéressant de permettre la pratique de l’agriculture urbaine en entreprise, en milieu hospitalier, et toutes autres institutions comme promotion du bien-être à partir de la thérapie horticole[13] et socle de sensibilisation à l’environnement. La volonté de la municipalité se doit de porter cette activité qui a du sens pour chacun.e d’entre nous et favorise la déconnexion avec le stress  urbain. « L’agriculture urbaine est un véritable laboratoire d’innovations sociales, économiques et environnementales »[14]. Comme l’a résumée si bien l’actrice britannique Audrey Hepburn, « créer un jardin, c’est croire en l’avenir ». Pour peu qu’elle soit portée par une politique forte en matière de diversification économique des villes et d’apprentissage auprès des particuliers, l’activité peut, en partie, nourrir la ville… et peut-être même en soigner quelques maux.

Sources :

[1] Le « guerrilla gardening« , ou fleurissement sauvage est un mouvement apparu à New York au milieu des années 70, particulièrement développé dans les pays anglo-saxons, mais aussi à Berlin ou à Bruxelles. Plusieurs villes françaises ont leurs groupes de « guerrilla gardeners » plus ou moins organisés : Paris, Lyon, Toulouse, Rennes, Nantes, Bordeaux, etc. Le principe est simple : végétaliser, avec ou sans permission, les espaces urbains inhospitaliers. Terrains vagues, pieds d’arbres, bordures de trottoirs ou d’immeubles, bas-côtés d’axes routiers (boulevards périphériques), n’importe quelle parcelle de sol susceptible d’abriter un peu de terre peut faire l’affaire.

[2]MOREL-CHEVILLET G. (dir.), 2017, « Agriculteurs urbains », p. 13 et 15.

[3]Idem.

[4]DE MELANBES Ph. 2018, « La permaculture », pp. 32-34.

[5]http://lesincroyablescomestibles.fr/qui-sommes-nous/

[6]http://www.jardins-familiaux.asso.fr/histoire.html

[7]http://www.jardins-familiaux.asso.fr/histoire.html

[8]https://www.ville-creteil.fr/jardins-familiaux

[9]https://www.ville-creteil.fr/jardin-partage-appel-a-candidatures

[10]https://www.ville-creteil.fr/jardins-familiaux-les-fruits-de-la-passion

[11]https://www.ville-creteil.fr/valomarne-les-performances-dun-projet-vertueux

[12]MOREL-CHEVILLET G. (dir.), op. cit., p. 174.

[13]https://jardinage.lemonde.fr/dossier-375-jardins-therapeutiques-hortitherapie.html

[14]CHARVET J-P, LAUREAU X., 2018, « Révolution des agricultures urbaines. Des utopies aux réalités. p. 190

 

 

Le document pdf : 3- Fiche AGRICULTURE URBAINE CRETEIL